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Tout jeu de mots mit à part, on peut dire que The Silent Sea est une série de science-fiction lunaire, et cela non parce qu’elle se déroule presque entièrement sur la Lune mais parce que le récit, comme les personnages, semble évoluer dans une semi-apesanteur.

La pénurie d’eau sur Terre a provoqué un rationnement drastique. Les mers et les océans sont asséchés, chacun a droit à une quantité d’eau correspondant à son statut. Une mission est envoyée sur la Lune récupérer des échantillons collectés par l’équipe d’une station lunaire baptisée Balhae et actuellement en sommeil. Les huit membres de la mission découvriront sur place les cadavres de ce petit contingent et les échantillons si précieux : des flacons d’eau de Lune.

Et oui, l’astronome de la Renaissance Van Langren ne s’était pas trompé en baptisant « Mers » (1) les grandes plaines de la Lune, comme la fameuse « Mer de la Tranquillité » où se posa la mission Apollo 11, la Mer des Humeurs ou la Mer de la Fécondité. Elles auraient bel et bien contenu de l’eau ! Et pas n’importe quelle eau…

Le vaisseau spatial coréen se pose comme son prédécesseur sur la Mer de la Tranquillité (La Mer du Silence en coréen), mais en catastrophe, à la limite d’une crevasse vertigineuse.

On sourit, au début, de la gaucherie des astronautes qui doivent effectuer les quelques kilomètres de marche qui séparent leur point d’atterrissage et la station Balhae. Plutôt que les aider à sauter un peu plus loin à l’aide de fils de nylon, d’ajouter un effet de ralenti ou à les doter de semelles à ressorts, on a demandé aux acteurs de mimer une marche en semi-apesanteur. Le résultat est presque comique. Qu’importe, continuons. Pour une raison qui ne s’explique pas, on pardonne tout à une série qui possède un charme que toutes les séquelles de Star Wars ou de Star Treck sont loin d’avoir. En comparaison de la désastreuse Another Life (2), alourdie d’effets spéciaux et de gesticulations effrénées, The Silent Sea nous captive par sa lenteur et la retenue du jeu de ses acteurs.

Ceux-ci font preuve, en effet, d’un talent pour exprimer leurs pensées ou leurs sentiments sans le moindre geste ni la plus petite expression, qui confine à la perfection. Est-ce bien eux qui ressentent ou pensent ? On se demande s’ils ne seraient-ils pas plutôt les réceptacles des pensées que nous-autres spectateurs leur prêtons. Comme si le flux mental de nos idées, drainé par l’avant-champ – cet espace qui nous lie à l’écran – venait habiter leurs visages impassibles. Pour atteindre cette proximité, il faut un peu de temps. Le cheminement des affects et l’exploration des réflexions est un processus lent. Le temps se dilate, les silences s’allongent, les scènes se laissent contempler, tout comme les visages et les parcelles de paysage lunaire que l’on aperçoit. Le spectateur lui-même lévite insensiblement. À ce rythme, la fin de The Silent Sea, totalement improbable, est plus proche du Petit Prince que de 2001 Odyssée de l’Espace ou de Battlestar Galactica. Un Petit Prince d’une époque toutefois plus froide que celle de l’original.

Pour que The Silent Sea ressemble tout de même davantage à une série d’aventure qu’à une méditation poétique, elle nous réserve tout ce qu’il faut de héros, de traîtres, de catastrophes et de sacrifices, mais elle le fait d’une telle façon que rien ne heurte, que le récit suit son cours paisible et que l’on en éprouve des sentiments d’autant plus profonds. Ici, le spectaculaire n’est pas de mise, ce qui est en soi presque une révolution dans la production cinématographique ou télévisuelle de science-fiction.

L’illustration la plus évidente de cette touche particulière – comme on dirait s’agissant d’un musicien ou un peintre – tient au son. On sait que sur la Lune, il n’y a pas de son puisqu’il n’y a pas d’air pour le porter. À l’extérieur de la station ne percent que les voix émises par radio au sein des scaphandres étanches, ce qui nous met dans la position d’un témoin lui-même astronaute. Mais, pour ne pas trop rompre ce minimalisme sonore, lorsque l’on passe à l’intérieur du labyrinthe de la station lunaire, pressurisé et donc doté d’une atmosphère, mais aussi vaste que vide, les bruits restent réduits au strict nécessaire jusqu’au fracas de la fin, quant aux voix, elles respectent de longs silences avant d’exprimer ce qu’elles ont à dire.

Puisque j’évoque un labyrinthe, il est nécessaire de s’attarder sur l’espace dans lequel évoluent les personnages, c’est-à-dire sur la conception architecturale de la station lunaire, bâtie à flanc de crevasse, ce qui est un bon choix pour se protéger des rayonnements des éruptions solaires. L’intérieur s’organise en couloirs à angles droits menant au terme de longs trajets à des chambres individuelles, des espaces de travail ou d’immenses réserves d’échantillons. Mais lorsque à l’exemple des astronautes, on choisit de parfois passer par les conduits d’aérations, à peine plus étroits que les couloirs, le labyrinthe se double d’un second, plus strictement géométrique encore. Impossible de s’y retrouver sans un appareil comme ceux que les astronautes portent à leurs poignets.

Et puisque tout labyrinthe dissimule un monstre, celui-ci en cache un tout à fait inattendu. Un monstre de fragilité et d’innocence. Un être à la fois semblable et profondément étranger à ce que nous sommes. Une hypothèse de notre avenir.

On a compris que l’eau, sa rareté ou sa découverte est au cœur de cette histoire puisque sa disparition ouvre le récit. On nous montre en effet une Terre asséchée, une sorte de Mer d’Aral à l’échelle mondiale, conséquence probable du réchauffement climatique ou d’une quelconque catastrophe environnementale comme il commence à s’en produire un peu partout à la surface du globe. Face à une érosion aussi dramatique de notre habitat naturel et à l’impossibilité croissante d’y survivre, la solution se trouverait-elle ailleurs, dans l’espace ? L’idée d’un exode spatial s’incruste peu à peu dans l’imaginaire collectif, alimentée par des articles de revues ou des films de science-fiction. Pourtant, les scientifiques démontrent que la distance et nos moyens actuels rendent cet espoir inaccessible et que nous ferions mieux de préserver notre seule et unique habitat possible. On a bien mentionné de petites colonies sur la Lune ou sur Mars qui auraient à leur disposition éventuelle les ressources en eau gelée des sous-sols, mais guère plus. Probabilité encore hors de portée, qui a toutefois donné naissance à une histoire, celle de The Silent Sea.

De l’eau sur la Lune ? Et si cette fameuse eau de Lune avait des propriétés particulières ? Et si cette eau extra-terrestre, plutôt que de seulement désaltérer les astronautes, aidait à régler le problème de la sécheresse terrienne ? Et s’il fallait simultanément envisager une transformation physiologique ? Et si le transhumanisme était la voie de la survie de l’espèce ? Sans être lourdement posés, tous ces sujets émergent naturellement au cours de la traversée des 8 épisodes de The Silent Sea.

Avec le transhumanisme, il s’agirait d’évoluer d’un stade à l’autre de l’espèce Homo. Comme lors de la transition du Néandertal à l’Homo sapiens. On sait que les deux branches de la famille humaine se sont longtemps côtoyées, qu’il y a eu des échanges, des luttes et des amours, nos gènes en gardent le souvenir. The Silent Sea montre le passage de témoin entre deux états de l’humanité, celui que nous connaissons, désormais incapable de survivre sur une planète qu’il a dévasté et un autre, mieux adapté, plus tolérant, plus respectueux et conscient de ses limites.

Pour l’exprimer, la série reprend discrètement la fresque de la Création de l’homme par Michel-Ange. Comme Dieu a donné vie à l’homme, l’être humain offre un présent à l’être post-sapiens qui lui succèdera. La position des mains diffère, celle qui donne est en dessous, ouverte, quand celle du Dieu de la Chapelle Sixtine pointait celle d’Adam pour lui transmettre le fluide vital. Le don plus prosaïque de l’astronaute, forme ordinaire d’un premier contact, d’un apprivoisement, n’en est pas moins symboliquement aussi essentiel.

La science-fiction est l’exploration des conséquences de nos actes et de nos pensées. La catastrophe environnementale en marche en fait irrémédiablement partie. Délibérément anti-spectaculaire, dramatique mais non tragique, The Silent Sea n’est pas là pour inventer une issue, ni d’ailleurs jouer les prophètes. Elle nous offre mieux : une échappée poétique.

Notes : 1- « Mare, is » en latin, pour être exact. 2 – Another Life est un feuilleton de science-fiction américain composé de deux saisons de 10 épisodes, créée par Aaron Marti et diffusée en 2019 sur le réseau Netflix. On y retrouve l’actrice Katee Sackhoff qui illumina Battlestar Galactica où elle interpréta le rôle de Kara « Starbuck » Thrace puis, après le rôle principal d’Another Life, interprétant le rôle de Bo-Katan dans The Mandalorian, consacrant ainsi son statut d’actrice incontournable des séries de science-fiction.

The Silent Sea (고요의 바다) est un feuilleton sud-coréen en 8 épisodes, adapté par Choi Hang-yong de son court métrage The Sea of Tranquility (고요의 바다, 2014) et diffusé fin 2021/début 2022 sur Netflix. Il est interprété notamment par : Bae Doo-na, Kim Sun-young, Heo Sung-tae, Kang Mal-geum, Kim Si-A, Gong Yoo, Lee Joon,…

Une réflexion sur “The Silent Sea (고요의 바다 )

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