Du dolorisme télévisuel
La troisième saison de The Fall offre une illustration éclatante, plus éclatante encore que Bosch, de notre thèse d’Achille et de la tortue tant elle ralentit le récit à un degré inattendu. Tout va si lentement que rien, pas même le reportage le plus trépidant sur une descente de police dans les quartiers nord de Marseille ne parviendra à rattraper The Fall.
Des évidences à foison : Un premier épisode tout entier centré sur l’intervention chirurgicale de Paul Spector, l’Etrangleur de Belfast, victime de la fusillade qui avait clos la saison précédente. Tout spectateur connait désormais sur le bout des doigts les dosages des médicaments au cours d’une opération et comment éponger l’écoulement du sang. Trois autres épisodes sont organisés autour du lent rétablissement de Spector et de l’attention que lui portent les yeux trop bleus de l’infirmière. De longues digressions aussi sur les procédures au sein de la police et de la justice vis à vis de la fusillade évoquée, du rôle et des responsabilités de chacun, avec , en sourdine, l’agaçante suspicion que le pire aurait été de mal protéger le suspect. D’autres séquences, tout aussi lentes et détaillées, déroulent le témoignage de la dernière victime de l’Etrangleur, miraculeusement épargnée. Chacun des gestes, chaque mot est rapporté dans son détail et forme une image mentale tangible. C’est effrayant.
Encore, aussi, de longues séquences sur la dégradation psychologique de Sally-Ann, la femme de l’Etrangleur. Quelques séquences et elle atteint la nécessité du suicide. Les femmes, explique Stella, font cela : elles se blessent et elles blessent ce qui les prolonge : leurs enfants.
Le temps se suspend. La douleur irradie et dilate la narration.
La tortue de la fiction prend son temps. L’action cède le pas aux sensations, comme si l’on n’avait rien vraiment ressenti jusqu’alors et que les choses retombant, chaque muscle, chaque nerf se détende, libérant la souffrance. L’Etrangleur semble avoir oublié ses crimes. Les autres, tout autour de lui, les survivants, eux, n’ont rien oublié.
La compassion transfigure l’aventureuse Stella Gibson, toujours en charge de l’enquête. Sur un registre plus retenu encore que précédemment, elle intériorise chaque mot, absorbe la souffrance des victimes et semble ne plus tenir que par la facade qu’elle s’est construite. Son affrontement avec Spector, qui n’est pas exempt de fascination – du moins de sa part à lui – la contraint à se barricader dans son image d’enquêtrice en chef.
Jim Burns, son supérieur, cultive son alcoolisme, incapable de tenir l’écart entre la monstruosité des crimes et ce que sa hiérarchie, du retrait de ses bureaux capitonnés, lui impose. La jeune Katie, tombée amoureuse du tueur, erre, désespérée. L’infirmière, comme je le disais, se laisse séduire par son patient. Les avocats, d’un cynisme abouti, sabotent sciemment l’enquête. Plus personne, en réalité, n’a de prise sur le réel. Sauf, on le soupçonne honteusement, l’Etrangleur.
Voilà ce que dit The Fall et que ratent les pseudo documentaires dont nous abreuvent les chaînes-tabloïds : personne ne contrôle vraiment quoi que ce soit. La vie en société est un chaos sur lequel on a posé le voile d’une organisation. Les individus restent totalement seuls et, partant, peuvent devenir aussi bien la proie d’un tueur en série que de l’engrenage de la bureaucratie. C’est notre lot à tous. Plus la série avance, plus les personnages nous apparaissent désespérément seuls. Les liens se rompent, aucune amitié, aucun amour ne tient. Et tout cela, comme au ralenti. Au rythme tenace de la tortue.
The Fall est une série britannique crée par Allan Cubitt, diffusée sur BBC2 et interprétée notamment par Gillian Anderson, Jamie Dornan, Colin Morgan, John Lynch, Bornagh Waugh,…
A lire aussi : http://www.bbc.co.uk/programmes/articles/3YpYkw7TS2xB9yp4xn4y2j4/spectors-journals-and-katies-diary
Pingback: Minhunter & Aquarius | les carnets de la télévision
Pingback: I’m the night | les carnets de la télévision