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«Ben Stiller est un fils de p*te de menteur tout comme le reste du monde. Il se fiche de la vérité. Tout ce qui l’intéresse c’est de gagner des millions sur mon dos. C’est un idiot.» Telle est la déclaration de Joyce « Tilly » Mitchell au New York Post au sujet de Ben Stiller, le créateur et réalisateur de la mini-série Escape at Dannemora. Elle était bien placée pour donner son opinion : l′histoire relate le fait-divers dans lequel elle fut impliquée, en juin 2015, lorsque Richard Matt et David Sweat s′évadèrent de la prison de Dannemora, dans l′Etat de New York, et semèrent la police durant trois semaines. Sans l′aide de Tilly, responsable de l′atelier de couture dans la prison, sans les lames de scies à métaux qu′elle leur fournit en échange de promesses d′une vie meilleure sous le soleil du Mexique et – prétend le feuilleton – de quelques faveurs sexuelles, l′évasion n′eut pas été menée à bien. Et Tilly n’eut pas écopé de 5 ans de prison…

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En réalité, Tilly avait autant envie de s′évader que les deux détenus. Elle aussi était condamnée à vie, dans un patelin insipide, aux côtés d′un mari obtus. La vraie vie, celle dont elle rêvait, elle en avait goûté par avance les délices en avalant les boniments des malfrats. Elle se voyait fonçant avec ses amants vers un exil de soleil et de farniente. Tous les trois sont les héros de leur rêves. Les autres, ceux qui ne veulent pas s′évader nous paraissent presque pitoyables, nous compris. Pourquoi ne désire-t-on pas échapper à un quotidien si terne et répétitif ? Plusieurs retentissantes affaires criminelles comme celles de Jean-Claude Romand, de Xavier Dupont de Ligonnès ou du docteur Godard semblent être nées, elles aussi, de ce légitime mais terrible désir de s′affranchir de la réalité.

escapepeintureL′art, dit-on, permet de le soulager momentanément. Ce doit être vrai si l′on en juge d′après ce gardien qui collectionne les peintures de Matt en échange de quelques passe-droits. Car Matt a un talent de peintre, il reproduit ce qu’on lui demande, d’après photo. Dans sa cellule, sont placardés un portrait d′Obama et un autre d′Hillary Clinton, d′assez bonne facture. Au cours de sa fuite, Matt s′arrêtera même pour dessiner au charbon un cheval sur un panneau de bois, dans un chalet abandonné. Étonnant point d’orgue né d’une pulsion graphique, si l’on peut dire. S′il ne s′était pas arrêté pour dessiner ce cheval, peut-être Matt aurait-il gagné les quelques dizaines de mètres qui lui ont manqué pour échapper à ses poursuivants. L’image de la liberté a prévalu sur la liberté elle-même. Le feuilleton touche, à cet instant, à la fable.

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En prenant le parti de rendre Matt et Sweat plus sympathiques que la moyenne des personnages et Tilly plus naïve que de raison, Ben Stiller prend le risque commun aux films d′évasion. Le genre est connu, au cinéma il a produit quelques chefs d’oeuvres, d’Un condamné à mort s’est échappé à L’Evadé d’Alcatraz. À la télévision, Prison Break a marqué son époque, longtemps après l’inoubliable Le Fugitif. Épopées de héros négatifs, ces aventures brocardent volontiers la Loi et tous ses représentants au profit d′individus en rupture de ban. Aux antipodes du terrifiant OZ, des séries comme Prison Break ou Escape At Donnemara n’ont cessé ces dernières années de distiller l′irrésistible séduction du fugitif. Celui qui creuse son tunnel à la petite cuillère n′est jamais entièrement mauvais, ce sont ses gardiens qui sont détestables. Interminable combat de l′individu contre la société. Le condamné devient une victime du système carcéral et personne ne lui reprochera de chercher à s′échapper.. Dans les années 30, le code Hays tenta de mettre un frein à ces éloges de l′immoralité dans la production hollywoodienne. Certains, comme Billy Wilder s′en réjouirent ironiquement en considérant que c′était une invite à l′imagination des réalisateurs.

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La télévision n′en est pas encore là mais Ben Stiller a dû sentir la gîte que prenait son feuilleton pour nous infliger un sixième épisode tout en flash-backs qui détaille les crimes commis autrefois par Matt et Sweat. Brusque changement de perspective morale qui culbute le spectateur de l′autre côté de la barrière. Les épisodes suivants n′entretiennent plus la bienveillance dont bénéficiaient jusqu′alors les deux prisonniers, leur sort est scellé. Si Sweat bénéficie encore d′un vague doute, Matt est dépeint comme une brute alcoolisée bien éloignée du paisible peintre qu′il était en prison. Quant à Tilly, la pauvre, impensable de la plaindre tant elle a tant désiré se laisser berner.

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Escape at Dannemora est ainsi divisé en deux parties asymétriques où le spectateur est amené à porter tour à tour des jugements différents. La première dépeint une vie carcérale caricaturalement paisible, la seconde narre la fuite chaotique de deux dangereux criminels. Il ne s′agit pas, comme dans Vertigo, d′occuper deux positions différentes par rapport au récit lui-même mais bien d′endosser tour à tour le costume de l′avocat puis du procureur. Était-il judicieux de rompre notre empathie pour les deux affreux et fallait-il le faire à ce moment-là ?

D′autant que la régularité du rythme du récit pousserait presque le spectateur à déserter. Ben Stiller néglige les effets indispensables au feuilleton. Pas de suspend * en fin d’épisode, par exemple. La frustration qui doit naître à cet instant et qui est censée nous tenir en laisse jusqu’à la semaine suivante, fait sensiblement défaut. Alors pourquoi attendre une semaine la suite d′une histoire dont on connaît le dénouement, si rien n’est là pour stimuler l’envie, si on ne trouve pas dans l’épisode à venir la réponse à une question laissée en suspend dans l’épisode que l’on vient de regarder ? Autrement dit, Escape at Dannemora n’est pas un feuilleton mais bel et bien un très long film découpé en tranches.

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Ces deux soucis, celui du point de vue et celui du suspend, apparemment éloignés l′un de l′autre, le sont moins qu’ils en ont l’air. Ils découlent d′un même défaut originel : la crainte de l′auteur de prendre des libertés avec son sujet. Ben Stiller avance ainsi à contre-temps de ses personnages. Eux veulent s′affranchir de la réalité, lui, en revanche, craint de ne pas y coller d′assez près. Le réel, Matt et Sweat le haïssent et n′ont en tête que les images floues d′un avenir de cartes postales ensoleillées. À l’inverse, Ben Stiller, lui, veille à ne rien sortir des rails de ce qui a été, à ne jamais s′écarter des faits connus et répertoriés. Pas de dramatisation artificielle, non plus, la narration reproduit le cours de l’histoire aussi exactement qu′elle a été rapportée par la presse, les juges, les témoins ou la police et le formidable talent de Patricia Arquette **, Benicio del Toro et Paul Dano en renforce la véracité à chaque image, chaque seconde, chaque minute. Le récit devient une preuve, malheureusement à charge contre ses personnages. Or la réalité, quand on s′évertue à une si vaine fidélité, ne contient ni suspend, ni morale claire. Car la morale comme le tempo, sont l′affaire des fabulistes.

C’est pourquoi Joyce « Tilly » Mitchell a raison de traiter Ben Stiller de « fils de p*te de menteur ».

 

Note :

* »cliff-hanger », en anglais.

* * Patricia Arquette a obtenu le Golden Globe de la meilleure actrice pour son interprétation dans Escape at Dannemora.

Escape at Dannemora est un feuilleton créé par Brett Johnson et Michael Tolkin et réalisé par Ben Stiller. Il a été diffusé en sur Showtime. Il est interprété notamment par : Patricia Arquette, Benicio del Toro, Paul Dano, Eric Lange, David Morse,

2 réflexions sur “Escape at Dannemora

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