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Les narco-trafiquants ont le vent en poupe à la télévision. Gomorra sondait la Camorra napolitaine, Narcos décrivait l’ascension et l’inévitable chute de Pablo Escobar puis du Cartel de Cali et maintenant de leurs homologues mexicains, Fariña, lui, traite de l’émergence du trafic de cocaïne en Galicie. Revendiquant tous une solide documentation historique et un strict respect des faits, ces trois feuilletons n’érigent pas moins des figures héroïques de hors-la-loi, chose impensable il y a encore quelques décennies, quand le justicier dominait la fiction criminelle. L’époque n’est pas plus libérale, bien au contraire. Les années 70-80 ont davantage cherché a nous montrer des policiers en phase avec leur temps qu’à portraiturer des criminels. Starsky et Hutch, par exemple, ou Miami Vice en sont de bons exemples. Le récent Aquarius, qui revenait sur cette époque, jouait très justement la partition pourtant dépassée du flic tolérant.

Fariña Burio

Nous sommes aux débuts des années 80. Fariña nous détaille en une courte saison la transformation de contrebandiers « ordinaires » en narco-trafiquants, dans la ria d’Arousa, à deux pas de Vigo et du Portugal, à l’extrémité ouest de la côte galicienne. Pablo Escobar, lui aussi, avait commencé petitement, on s’en souvient. Ici, ce sont donc des pêcheurs pauvres qui augmentent leurs maigres revenus en introduisant clandestinement des milliers de paquets de cigarettes américaines. Les douanes les attrapent parfois mais elles ferment les yeux en échange d’un ou deux cartons. La garde civile ne peut guère plus, la contrebande n’étant qu’un délit, donc passible d’une simple amende. Et puis les contrebandiers ont corrompu assez de politiciens, de juges et de policiers pour dormir tranquilles. Il leur faut seulement des hors-bords rapides et des pilotes téméraires. Les images des courses-poursuites entre la vedette des douanes et les hors-bords surpuissants sont saisissantes. Dans leurs lumières vertes ou bleues, c’est un autre monde qui apparaît, un monde où la vitesse et les éléments prévalent sur les lois humaines.

Fariña hors-bord 2

Nous sommes au début des années 80, à une époque où la jeune génération est moins disposée à respecter ses aînés qu’auparavant. Franco est mort, la Movida bat son plein dans grandes villes, les élections modèlent peu à peu la démocratie espagnole, l’Espagne s’apprête à intégrer l’Europe. Mais la pêche dépérit. L’antique ordre patriarcal pèse sur une jeunesse qui, légitimement, aimerait profiter d’une liberté dont elle ne perçoit que les rumeurs. Sans déroger au respect de façade dû aux anciens, certains d’entre elle ne voient pas pourquoi ils s’interdiraient de faire fortune avec le haschich ou la cocaïne. D’autant plus que, sous l’impulsion d’un policier et d’un juge locaux, l’État requalifie le trafic de tabac en crime, donc passible de prison, à l’égal de la drogue. Erreur stratégique de fonctionnaires volontaristes qui, pour mieux lutter contre le trafic de cigarettes, ont levé par ricochet le tabou qui cantonnait les contrebandiers locaux dans un trafic certes moins rémunérateur mais moralement plus acceptable et surtout moins risqué que celui de la drogue.

Fariña face à face

Des Colombiens vont fournir aux pêcheurs-contrebandiers les conditions de leur émancipation. Le plus ambitieux des jeunes têtes brûlées, Sito Miñanco, va saisir sa chance et apprendre, en premier, les règles autrement plus violentes du trafic de la cocaïne. L’ordre féodal ancien éclate. Le vieux Terito, chef de la « coopérative » de la ria d’Arousa, se retire tandis que les chefs des clans se convertissent les uns après les autres à la « farine ». Mutation délicate, parfois douloureuse. La mafia galicienne sent encore trop la paysannerie. Les réflexes sont d’un autre temps. L’argent de la cocaïne corrompt toute la société, du club de foot aux élections municipales, du petit bar traditionnel à l’Eglise. Sito devient président du club de foot dont il a fait reconstruire le stade. Il reçoit les honneurs officiels de la ville. Il se fait bâtir un palais, il devient l’homme le plus populaire de la région et sa photo orne les journaux locaux. Un autre clan construit un casino. À court d’idées pour exploiter leurs millions, les bandits galiciens les dissimulent là où ils peuvent, au risque d’en perdre des quantités à cause d’intempéries ou d’une simple bévue. À force de reculer les limites, ils ne les distinguent plus.

Fariña tablée

…. Jusqu’à ce qu’un gamin du coin meure d’overdose. Jusqu’à ce que les mères s’en mêlent et manifestent leur colère. Jusqu’à ce que les conflits entre les clans empirent, comme celui qui oppose les Charlin est les Bustelo. Jusqu’à ce que le combat obsessionnel du sergent de la Garde Civile contre les trafiquants trouve appui sur un juge madrilène intègre, un certain Balthazar Garzón, et que se mette en place une vaste opération policière, en 1990, renforcée par le recours aux repentis, comme en Italie.

Fariña vitre voiture

Sur cette pauvre Terre, tout est soumis à la loi de la gravité, les hommes comme les récits. Il faut un point où s’appuyer, une concrétion des énergies, un trou noir ou un soleil autour desquels le monde se mette en orbite. Narcos avait le défaut de balayer trop vite l’histoire et de confier le récit à un personnage sans réelle densité. La balance penchait en faveur de Pablo Escobar, le véritable héros de sa propre épopée, sans en assumer toute la dimension fictionnelle. Fariña voudrait un duel entre Sito Miñanco et son inlassable adversaire, le sergent Darío Castro. Mais les chefs de clan et leurs familles interfèrent, les luttes internes à la « coopérative », aussi instructives soient-elles sur les stratifications sociales, grignotent le terrain, les âneries des fils Charlin détournent l’attention, le « Roméo et Juliette » ébauché entre Leticia, la nièce Charlin, et le fils Bustelo ouvre une brèche, sans plus. L’assassinat du fidèle Braulio par les Colombiens aurait pu déclencher la fureur achilléenne de Sito, il n’en est rien. L’enquête du sergent Castro patine. À eux deux, Dario et Sito ne parviennent pas à peser suffisamment pour que la galaxie de la ria d’Arousa gravite autour d’eux seuls.

Fariña sergent-père

Pourtant, l’héritage du sergent Dario et celui de Sito ont une ressemblance qui fait de ces deux hommes des quasi-jumeaux. Le père du premier a été un flic corrompu, celui du second un pêcheur pauvre. Cette veine filiale pouvait irriguer une tragédie. Aussi butés l’un que l’autre, Dario s’enfonce dans le cancer cigarette après cigarette quand Sito se brûle les ailes à voler toujours plus haut. Deux destins en miroir, une symétrie parfaite. Mais les faits l’ont emporté. Le souci de coller au plus près de la réalité historique a gâché la possibilité d’un drame.

Fariña Sitio volant

L’ouvrage dont est adapté le feuilleton s’intitule Fariña : historia e indiscreciones del narcotrafico en Galicia. Il a été écrit par le journaliste Nacho Carretero Pou. Ce n’est pas une fiction, c’est une enquête.  De leur côté, pour préparer Narcos, Chris Brancato, Carlo Bernard et Doug Miro ont mené eux-aussi une véritable enquête sur les cartels colombiens et la production a bénéficié de l’aide des inspecteurs de la DEA qui ont traqué Escobar. En revanche, Roberto Saviano, l’auteur du roman dont a été tiré Gomorra, déclarait au Monde : « Je ne voulais pas écrire un essai classique ni une simple fiction, je me suis donc inspiré du genre « nonfiction novel » de Truman Capote. J’ai utilisé la liberté et l’indiscipline du roman, en les croisant avec la rigueur des statistiques, des archives, des analyses sociologiques. Sous cet angle, la littérature cesse d’être une fuite de la réalité, comme elle l’a souvent été pour beaucoup d’écrivains du sud de l’Italie, et devient l’instrument le plus à même de raconter un univers qui est devant les yeux de tous, tout en restant apparemment insaisissable. » La différence entre l’enquête journalistique et le roman non-fictionnel est mince mais c’est dans cet interstice que peut germer une dramaturgie. Gomorra nous plongeait dans les luttes implacables qui opposaient les frères aux frères, les voisins aux voisins. Tous étaient aux mains de la fatalité qui écrasait leur miséreuse banlieue napolitaine. On y apprenait peut-être des choses sur les pratiques de la Camorra, mais ce qui importait était ailleurs, dans la grandeur tragique de personnages. Fariña manque hélas cette opportunité.

Fariña est un feuilleton écrit par Ramón Campos, Cristóbal Garrido, Gema R. Neira pour Atresmedia Televisión et Bambu Producciones. Il a été diffusé par Antena 3 puis mondialement par Netflix en 2018. Il est interprété notamment par : Javier Rey, Tristán Ulloa, Antonio Durán « Morris », Carlos Blanco Vila, Manuel Lourenço, Isabel Naveira, Xosé Antonio Touriñán, Xúlio Abonjo, Monti Castiñeiras, Alfonso Agra, Carlos Sante Varela, Miquel Fernández García, Fran Lareu, Eva Fernandez, Tamar Novas,…

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