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Plus je m′enfonce dans la folie des autres, moins je me connais moi-même

Ceux qui, comme moi, tiennent les 9 saisons du Sherlock Holmes interprété par Jeremy Brett pour un chef d′oeuvre, ceux qui se laissent volontiers entraîner à regarder un des 70 épisodes d′Hercule Poirot interprétés par David Suchet, ne bouderont pas le plaisir de découvrir Vienna Blood. Certes, il ne faut pas s′attendre à l′inspiration d′un Conan Doyle ou d′une Agatha Christie, mais cette série – qui pour une fois en est réellement une puisque chaque épisode constitue un récit complet – relève le gant avec un certain cran.

VB course sur les toits

L′histoire se déroule à Vienne aux lueurs du XXème siècle, au temps de Klimt, Freud, Schnitzler, Zweig, Otto Wagner et Malher, c′est à dire dans les dernières et prodigieuses années de la capitale de la Mittel Europa. Rien ne nous est épargné pour que nous comprenions exactement où nous mettons les pieds. Les architectures Art Nouveau, la peinture de Klimt et la musique de Malher sont si expressément citées qu′on a parfois le sentiment de feuilleter un ouvrage d′histoire de l′art. Sans oublier le titre lui-même, qui est celui d’une valse de Strauss… Cette impression de catalogue est contrebalancée par l′insistance des auteurs sur un antisémitisme largement répandu, sur la puissance et l′arrogance de la haute bourgeoisie ou le rejet des thèses scientifiques nouvelles et tout ce que ce Vienne-là couvait de réactionnaire. Ajoutons au tableau la mode du spiritisme alors répandue dans toute l′Europe et le rôle souterrain de quelques sociétés secrètes, nous avons sous les yeux une image d′Épinal de la Vienne impériale, si je puis dire.

Vienna fenêtre

Disons que le contexte occupe aux débuts de Vienna Blood une place qui la range parmi ce que j′appellerai les séries de reconstitution, c′est-à-dire celles où la recherche de l′authenticité tend à l′emporter sur le récit lui-même. Le premier épisode de Rebellion, avait lui-aussi tutoyé ce genre en fourbissant assez de calèches, de robes longues et de casquettes pour certifier qu′elle se déroulait bien dans l′Irlande de 1916. L′impression s′efface heureusement dès le deuxième épisode qui se tourne, lui, vers les bas-fonds. Et la misère, où que l′on soit, a toujours les mêmes visages et porte les mêmes frusques. À partir de là, le récit peut se détacher de la reconstitution et libérer sa force dramatique.

VB victime

L′inspecteur Rheinhardt est chargé d’enquêter sur le meurtre d′une demi-mondaine. Un meurtre aussi beau qu’un tableau. Un meurtre en forme de tableau précisera Max Liebermann, le jeune neurologue qu’on lui affecte, en simple observateur curieux des dérives meurtrières de ses semblables. Ce jeune homme, influencé par les récentes thèses de Freud, va apporter un concours particulièrement efficace à la résolution de l′affaire. Les deux hommes s’opposent physiquement autant qu’intellectuellement, comme il se doit. Mais tous les deux sont professionnellement en position délicate, ce qui amorce une solidarité. Les origines juives de Liebermann et son adhésion aux thèses freudiennes lui valent des inimitiés professionnelles autant que les maigres résultats de Rheinhardt le mettent à la merci d′une mise au placard.

La seconde enquête concernera un tueur en série et la troisième les rites secrets d′une académie militaire. Durant tout ce temps, Liebermann, confronté aux circonstances de la vie des victimes comme des bourreaux,  éprouve de plus en plus de mal à accepter la violence de l’hôpital. Rheinhardt, de son côté, résiste autant qu’il le peut à une hiérarchie qui exige des résultats, quels qu’ils soient. Dans les deux cas, il s’agit de la même chose, on le comprend bien.

VB amphithéâtre

Trois épisodes seulement pour pénétrer des terrains aussi complexes, c′est peu, en dépit de leurs longueurs respectives. Il est probable qu′à l′instar de Shetland, les producteurs aient tenu à tester les personnages et l’efficacité du récit avant de s′engager plus avant. Hélas, en ce cas précis, les trois épisodes ne suffisent pas à établir un rythme et ajuster la mécanique. Jusqu’à ses derniers plans, Vienna Blood hésite encore entre le récit dramatique et la tragi-comédie, voire dans la comédie tout court.

Vienna tableau

Entre autres exemples : le vaudeville de la rupture de Max et de sa fiancée Martha, la résolution grotesque de l′affaire des meurtres en série du deuxième épisode ou la conclusion du dernier épisode qui nous montre Max en Tintin autrichien et Oskar Rheinhardt en capitaine Haddock. La ligne claire n′est pas une solution en matière de cinéma comme de télévision. Ces façons de réduire les personnages à leurs simples contours défait ce qui a pu se nouer en eux, entre eux et entre eux et nous autres, spectateurs, tout au long de récits où il s’est tout de même agi de meurtres, de violences et de folie.

Vienna Blood

Pourtant la biologiste Amelia Lydgate, ex-patiente de Max traitée aux électrochocs et dont celui-ci s’éprend sans même s’en rendre compte, le pauvre d′esprit mort sous les coups dans une cellule à l’instigation de la police ou même l′Oskar Rheinhardt que l′on découvre seulement vers la fin, hanté par la mort de sa fille, offraient tous un début de profondeur psychologique dans une série où l’on ne cesse de citer le nom de Freud. Tout cela laissait entrevoir ce qu′aurait pu devenir Vienna Blood si la tentation du second degré ne l′avait trop souvent emporté. On l’a senti, on l’a frôlé, et puis…

La fresque de Klimt Beethoven Frieze, si précisément montrée dès le premier épisode s’offrait comme une clef, un carnet de bal ou le plan du labyrinthe. Au choix. Tout y était, à portée de main.

Klimt_-_Beethovenfries_-_Die_Feindseligkeit_der_gegnerischen_Kräfte

Vienna Blood est une série austro-britannique adaptée par Steve Thompson des romans de Frank Tallis et diffusée en 2019 sur BBC2. Elle est interprétée notamment par : Matthew Beard, Jürgen Maurer, Conleth Hill, Charlene McKenna, Amelia Bullmore, Jessica De Gouw, Luise von Finckh,…

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