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David Simon s′est bâti une renommée sur la méticulosité et la rigueur de son travail. Journaliste de terrain à Baltimore, habitué des virées avec la police, il a baroudé une douzaine d′année dans les rues d′une des villes les plus dangereuses des Etats-Unis. Cette expérience lui a permis de publier : Homicide: A Year on the Killing Streets puis, avec Ed Burns, The Corner: A Year in the Life of an Inner-City Neighborhood. Ces deux livres furent adaptés sous forme de séries télévisées. Après avoir assuré le production de Homicide puis l′adaptation télévisée de The Corner, il s′investit en compagnie d’Ed Burns dans la scénarisation et la production de The Wire, qui assure sa renommée mondiale, puis de Generation Kill. Suivent le génial Treme, écrit avec Eric Overmyer, qui traite des conséquences de l′ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans, le bouleversant Show me a hero et The Deuce, une description minutieuse de l′émergence de l′industrie du film pornographique à New York.
Il ne faut donc pas s′attendre avec David Simon et Ed Burns a beaucoup de fioritures. Leur rigueur sociologique écarte les facilités romanesques, la fiction s′enracine dans le documentaire et s’appuie sur de solides recherches. Les voir aujourd′hui s′attaquer à une fiction et surtout à l′oeuvre de l′une des plus grandes figures de la littérature américaine, Philip Roth, pouvait donc laisser perplexe. Certainement pas en raison de leur capacité à reconstituer une époque, ils l′ont brillamment réussi avec The Deuce mais pour des raisons liées à l’adaptation en elle-même. Inventer une histoire à partir d’éléments historiques et sociologiques est une chose, transposer un roman de l’écrit à l’image en est une autre.

Plot père+mère
Il est indéniable que l′uchronie est à la mode comme on peut le constater à la lecture de ce blog. Mais il est impossible de croire que cette fois David Simon et Ed Burns aient cédé à un quelconque goût du jour. Il existait même un écueil de taille pour les deux auteurs : les évidentes similitudes entre l’histoire écrite par Philip Roth et la situation politique actuelle aux USA. Philip Roth refusait clairement que l′on considère son roman comme une parabole politique. Malheureusement pour lui, il n’a pu empêcher que se produisent les évènements qui, par la suite, ont donné à ses écrits une valeur prémonitoire. Et il a encore moins pu s’opposer à la perception qu’ont eu de son récit les spectateurs de 2020, contemporains d’un monde contaminé par la démagogie fascisante si semblable à celui qu’il avait si bien dépeint onze ans avant l’élection de Trump.

Plot garçon

David Simon assume. Le récit de Roth, dit-il (1), semble étonnamment prémonitoire dans la mesure où il anticipe un politicien qui s′empare un message très simple et se montre capable d’activer les pires craintes et impulsions d’un nombre important d’Américains. Il leur fait renoncer non seulement au pouvoir, mais à certains des remparts les plus essentiels de l’autogouvernance.

Dans l′uchronie de Philip Roth, Franklin D. Roosevelt est battu par Charles Lindbergh lors de l′élection pour son troisième mandat présidentiel, c’est à dire en 1940. La campagne électorale de Lindbergh tient en une simple phrase répétée à l′envi : Ce n′est pas un choix entre Charles Lindbergh et Franklin Delanoe Roosevelt, c′est un choix entre Charles Lindbergh et la guerre !  Isolationiste obstiné, Lindbergh offre discrètement à Hitler des garanties de non-ingérence, lui laissant les mains libres en Europe. Il regarde ailleurs quand le Japon envahit tout l′Extrême-Orient. Ses quelques déclarations antisémites sont vite mises sous le tapis par ses partisans, y compris chez les juifs. Les choses se font peu à peu et toujours dans une ambivalence qui ne permet pas de le dénoncer sans être accusé de paranoïa. Sans soubresaut ni coup de tonnerre, le pays se transforme insensiblement et chacun est emporté dans cette lente évolution mal discernable mais bien réelle.

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Charles Lindbergh ne parvint à atteindre la Maison Blanche et le Monde entier s′en félicite encore. Mais il eut le temps de prononcer un vigoureux discours à Des Moines, dans l′Iowa, en 1941, où il accusa les britanniques, Roosevelt et les juifs américains de belliscisme et expliqua que le plus grand danger qui menaçait les USA était le pouvoir des juifs et leur influence dans le cinéma, la presse, la radio et le gouvernement. Par bonheur l’opposant à Roosevelt ne fut pas Lindbergh mais Wendell Willkie, un républicain dûment anti-fasciste et interventionniste.
Dans le roman, seul un chroniqueur de radio, Walter Winchell, tonne et vocifère contre le poison qui lentement pénètre les consciences. Il lance sa campagne électorale, ses meetings sont saccagés et lui-même finit assassiné.

Plot Winshell
Philip Roth expérimente le basculement idéologique au coeur d′une famille juive de Newark dans l′Etat du New Jersey, voisin de New York. Le quartier où la famille habite ressemble trait pour trait à celle où Roth a passé son enfance. Herman, le père, idéalise l′Amérique, terre d′accueil et de liberté. Tout ce qui ressemble à du racisme ou de l′anti-sémitisme est à ses yeux anti-américain. Violemment opposé au nazisme, c′est un auditeur enthousiaste de Winchell et un grand supporter de Roosevelt. Plus les nouvelles venues d′Europe s’aggravent, plus il se mure dans ses convictions et réagit violemment. Fuir le New Jersey pour se réfugier au Canada, comme le voudrait sa femme, serait à ses yeux déserter devant l′ennemi. À son grand désespoir, son fils aîné Sandy admire Lindbergh et se rapproche de sa tante Evelyn tombée amoureuse du rabbin pro-Lindbergh Bengelsdorf. Alvin, le neveu, fait la belle pour s′engager dans l′armée canadienne et combattre les nazis. Bess, la mère, tente de protéger la famille contre ces pulsions centrifuges tandis que son second garçon, Philip, assiste, impuissant, aux déchirements familiaux.

Plot Philip

Chez Roth, le narrateur est ce jeune Philip, celui qui en est encore aux albums de timbres et aux premières escapades, et qui porte le nom de l′auteur. David Simon opte, lui, pour un narrateur extérieur. De ce fait certains personnages prennent de l′ampleur, tel Herman, lui-même, ou le cousin Alvin, tandis que d′autres perdent de l′importance, comme Philip lui-même, ses copains ou les voisins du rez-de-chaussée. En passant du roman à la série mais surtout d′un narrateur incarné à un narrateur extérieur, on perd le lien charnel et émotionnel qui attache le narrateur aux personnages de sa famille. On perd aussi, mais pour d’autres raisons, de la capacité du texte à emporter tout un groupe humain dans le même grand courant. Les images n′ont pas la fluidité des mots. D′autant plus que la série est réduite à seulement six épisodes, selon la norme actuelle, quand le double n′aurait pas été de trop.

Plot garçons escalier
Aussi, tout en se réjouissant de voir si bien respectées les couleurs, les lumières, les décors, les costumes des années 40, on peut regretter une certaine mécanique de la mise en scène due à la « condensation » sur les principaux moments du récit. Il manque du temps, de l′imperceptible, du silence, des creux et des vides. David Simon et Ed Burns n′ont pas atteint avec cette série la puissance émotionnelle de Show me a Hero, qui passe à mes yeux pour leur chef d′oeuvre. Et pourtant, il s′agissait pas d’une fiction mais de la véritable – et tragique – histoire du maire d’une banlieue de New York.

Plot discours rabbin

Le tournant le plus évident de The Plot against America est le lancement du programme Just Folks (Juste des gens) destiné à familiariser les adolescents juifs urbains avec l′Amérique rurale. Au nom d′une pseudo intégration, on commence par faire goûter les charmes du déracinement aux adolescents avant de disperser de force des familles juives entières dans les coins les plus reculés du pays. L′idée vient de l′opportuniste rabbin Bengelsdorf, qui défend avec énergie l′idée selon laquelle la guerre européenne n′est pas celle de juifs qui, en mettant le pied en Amérique, ont enfin trouvé la patrie qu′on leur refusait en Europe. Cette idée est finement redoublée par la très symbolique collection de timbres du jeune Philip qui s′extasie devant les petites images venues de tout le pays et du monde entier. Cette collection, il l′offre à son voisin Seldon, au moment où celui-ci et sa mère émigrent de force vers le Kentucky. Les timbres représentent la diversité qu′ils sont en train de perdre, donc leur identité. Celle justement qui révulsait le véritable Lindbergh : Nous ne pouvons avoir la paix et la sécurité, disait-il,  que si nous nous unissons pour préserver ce bien le plus inestimable, notre héritage de sang européen, que si nous nous protégeons contre les attaques des armées étrangères et la dilution des races étrangères.(2)

Plot KKK

Le premier réflexe – du moins cela a été le mien – consiste à se réjouir d′un nouveau brûlot lancé contre Trump et la droite américaine radicalisée. Est-ce aussi simple ? Lorsque j′ai lu le livre de Philip Roth, j′ai été frappé, moi aussi, par la concordance entre ce qui est dit de la montée du fascisme dans cette pseudo-Amérique des années 40 et celle d′aujourd′hui à commencer par le slogan de Trump, America First, emprunté à Lindbergh (3). L′isolationisme, la sympathie mal dissimulée pour les dictatures, la division du pays en clans hostiles, tout cela est commun au milliardaire et au héros de l′aviation. Il n′y a que le mutisme de Lindbergh qui le distingue d’un Trump beaucoup plus bavard et grossier.

Plot pogrom

Mais le Lindbergh de Roth et Simon, comme Trump dans la réalité, ne serait jamais parvenu au pouvoir, pas plus qu′Orbán, Bolsonaro ou Dutertre, sans le poison qui a lentement corrompu les consciences et laissé s′épandre le cynisme, l′intolérance et les préjugés. La grande qualité de The Plot against America est de montrer comment ce poison infuse. Comparons la presse d’aujourd’hui et celle d’hier, parcourons les forums politiques, regardons la télévision de Bolloré, les fascistes n’ont pas à donner de la voix, leur parole s’épand  par tous les canaux possibles. Les mots eux-mêmes sont déjà corrompus.

La morale ? Elle nous est donnée par Bess, la plus lucide de la famille, lorsqu’elle dit à son mari : Qu’on le veuille ou non, Lindbergh nous enseigne ce que signifie être juif.

Notes :
1 – Smithsonian magazine, 16 mars 2020
2 – Lindbergh écrivit cela dans Reader′s Digest en 1939
3 – « Créé en 1940 après qu’Hitler avait déjà envahi la Pologne, l’America First Committee soutenait que les États-Unis devraient adopter une approche neutre envers l’Allemagne nazie, et même faire des affaires avec elle, parce que le régime nazi ne menaçait pas directement l’Amérique. » Uriel Heilman pour le Jewish Telegraphic Agency. Pour mieux comprendre la place du nazisme dans les USA d’avant-guerre, du rôle qu’y jouèrent les immigrés allemands et les racistes sudistes, je ne peux que conseiller cet excellent article (en anglais) de Sarah Churchwell paru dans la New York Revue of Books, et où l’on découvre -entre autres- une photographie de Lindbergh effectuant le salut nazi.

The Plot against America est un mini-feuilleton adapté par David Simon et Ed Burns du roman homonyne de Philip Roth et duffusé sur HBO en 2020. Il est interprété notamment par : Anthony Boyle, Zoe Kazan, Winona Ryder, Morgan Spector, Caleb Malis, Ben Cole, Azhy Robertson…

2 réflexions sur “The Plot against America

  1. Pingback: The Plot Against America, David Simon (minisérie) – Pamolico

  2. Pingback: We Own this City | les carnets de la télévision

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