American Crime Story est une anthologie consacrée à des crimes célèbres survenus aux USA. Il ne faut pas confondre cette série avec une autre anthologie, American Crime, composée de fictions a fort caractère social et qui pour cette raison entre autres qualités, mérite davantage d’intérêt. Néanmoins, avec une première saison consacrée à l’affaire O.J.Simpson, du nom du joueur professionnel de football américain accusé d’avoir assassiné sa femme et l’ami de celle-ci et une seconde à l’assassinat de Gianni Versace, la qualité « technique » de la série compensait le sensationnalisme de ses sujets. Suivant précisément tous les faits connus, elle reconstituait les affaires avec d’excellents acteurs et des images à l’esthétique appropriée, clinquantes pour Versace, de style plus « documentaire » pour O.J.Simpson. La troisième saison, titrée Impeachment, est consacrée à l’affaire Clinton-Lewinsky qui vit le président américain Bill Clinton menacé de destitution pour avoir menti au sujet de sa liaison avec une stagiaire de la Maison Blanche. Il n’y a pas de doute que les mensonges d’un président devant un procureur soient considérés comme des crimes aux USA. Il n’en reste pas moins qu’à nos yeux, ce vaudeville politique révèle davantage l’hypocrisie d’un système socio-politique que les dessous d’une véritable affaire criminelle.
Comme lors des autres saisons, les faits connus sont méticuleusement reconstitués. La célèbre scène où Clinton donne l’accolade à Monica Lewinsky lors d’une sortie publique, est conforme aux images vues à l’époque à la télévision. Il s’agit de faire interpréter aussi fidèlement que possible les faits tels qu’on les connaît. Il reste bien sûr à inventer tout ce qui relève de l’intimité, les mots et les gestes échangés dans le secret du domaine privé de la Maison Blanche, entre Bill et Hillary Clinton ou entre Bill Clinton et Monica Lewinsky plus particulièrement. Pour cela, on peut faire confiance aux protagonistes réels pour avoir publié les mémoires sitôt l’affaire passée, offrant à la postérité leur version des faits et donc nombre détails dont les scénaristes de la série ont pu s’alimenter. Monica Lewinsky faisant partie des producteurs de la série, on peut supposer que le récit des faits est conforme à la réalité des faits, du point de vue de Monica.
Avec l’aval de Monica, ces mêmes scénaristes ont effectué un premier choix : concentrer toute l’affaire sur rapports entre deux personnages : Monica Lewinsky et Linda Tripp. Cette dernière fut celle par qui le scandale arriva et qui, comme promis par les Écritures, en paya le prix.
Mutée au Pentagone -la « Sibérie » selon ses propres termes – après le suicide de Vince Foster , le conseiller juridique adjoint de Bill Clinton, elle en conçut une violente haine envers le couple Clinton. Divorcée, complexée par son physique et ardemment républicaine, Linda Tripp vit très mal cette apparente déchéance. Néanmoins, elle découvre au Pentagone la jeune et naïve Monika Lewinsky, elle aussi mutée par l’administration de la Maison Blanche mais pour d’autres raisons. Jouant à la bonne copine de bureau et guidée par son intuition, elle lui soutire jour après jour des informations sur sa vie intime. Les humeurs changeantes de Monica trahissent ses peines de cœur. Elle finit par céder aux pressions de son « amie » et lui révéler que son amant est le Président des USA. Linda Tripp jubile, elle tient sa revanche ! Conseillée par une éditrice républicaine, Lucianne Goldberg, elle enregistre ses conversations téléphoniques avec Monica, en toute illégalité. Meilleur est le méchant, disait Hitchcock, meilleur est le film. En l’occurrence, la série dresse un portrait sévère de Linda Tripp.

On la découvre dînant chaque soir d’un plat réchauffé au micro-ondes, seule, devant sa télévision ou ruminant sa vengeance contre les Clinton ou occupant son temps libre à faire parler Monica au téléphone dans l’espoir d’enregistrer l’aveu de sa liaison avec Clinton et d’un abus de pouvoir que celui-ci aurait commis. Le sommet de la trahison étant atteint le jour où elle invite Monica au restaurant où elle l’attend, des micros cachés dans son corsage.
Impeachment est donc une affaire de femmes. À Monica et Linda viendront s’ajouter Paula Jones, une victime préalable de Bill Clinton du temps où il était gouverneur de l’Arkansas, Susan Carpenter-McMillan, sa conseillère intégriste, l’activiste conservatrice Ann Coulter, Lucianne Goldberg, déjà citée, et la propre mère de Monica. À l’exception de cette dernière, que l’on suppose démocrate, on retrouve dans cette petite nébuleuse un parfum de Mrs America, cette belle série qui montrait l’éclosion puis la montée en puissance du mouvement de femmes anti-féministes à l’époque de la deuxième vague féministe.

La série bascule ensuite sur un autre couple, celui, justement, de Bill et Hillary Clinton, aux prises avec le procureur indépendant Kenneth Starr. Ce dernier, nommé pour enquêter sur des soupçons de malversations financières des Clinton, élargit son enquête faute de résultat à la plainte de Paula Jones. Informé de la liaison du président avec une jeune stagiaire de la Maison Blanche et devant le désastre des témoignages de Paula Jones, il redirige son enquête vers Monica Lewinsky que ses sbires finissent par faire craquer à force de chantage et de menaces. Finalement, les cassettes de Linda Tripp concluent la victoire provisoire de Starr. Le récit s’étire durant ces derniers épisodes et commence à lasser. La faute, peut-être à un dénouement déjà connu et une parfaite absence de surprises.
La longue scène où, suite à la dénonciation de Linda Tripp, Monica est illégalement piégée dans une chambre du Ritz Carlton par le FBI et les sbires de Starr, sans que ses ravisseurs commettent en apparence la moindre faute légale est le pivot du récit.
Le camp adverse se dévoile. Seule, encore trop jeune et inexpérimentée, Monica Lewinski panique et se laisse embobiner mais – et c’est toute la finesse de la séquence – elle résiste aussi, silencieusement, ne livre rien, grapille délai après délai, pour aller aux toilettes, déjeuner ou faire un tour, elle emmagasine aussi ce que ses geôliers laissent échapper. Sans même en être consciente, elle se prépare pour le prochain round comme un boxeur qui encaisserait pendant le round d’observation afin de mieux répliquer au round suivant. Ce qu’elle ignore, c’est qu’elle pourrait passer la porte sans qu’ils puissent faire quoi que ce soit pour la retenir. Quand on sait que l’un des adjoints du procureur présents ce jour-là dans cette chambre d’hôtel, le plus brutal, le plus terrorisant et le plus humiliant, n’est autre que Brett Kavanaugh, nommé par Trump, des années plus tard, juge à la Cour Suprême des Etats-Unis d’Amérique, on comprend à quel point la démocratie américaine est affaiblie.
Hélas pour Starr, Bill Clinton était plus rusé que lui, comme l’histoire en a conservé le souvenir et il se tira du piège au prix d’une crise conjugale avec Hillary. Le procureur Starr, lui, coûta 30 millions de dollars au contribuable américain.

Cette focalisation du récit élimine volontairement quantité de personnages. Les conseillers juridiques et le porte-parole de la présidence exceptés, une partie du gouvernement américain n’apparaît qu’une fois à l’occasion d’un conseil de sécurité au sujet de Ben Laden. Les autres secrétaires d’État sont occultés de même que les élus du Congrès, représentants et sénateurs, comme si Clinton n’avait pas affaire à eux chaque jour et qu’il dirigeait le pays depuis son île. Quant aux chefs d’États étrangers, à part les appels de Tony Blair qui interrompent ses entretiens avec Monica, on n’en voit pas l’ombre. La presse écrite qui, à juste titre, se montra prudente, se contente d’un strapontin. La propagation d’informations vraies ou fausses par internet pointe seulement le bout de son nez avec Drudge Report, le site de Matt Drudge qui diffuse tous les ragots et secrets du moment sans la moindre vérification. On en est encore qu’aux débuts du Web, les déviances n’ont pas atteint les proportions actuelles. La télévision, en revanche, sert de miroir aux protagonistes, c’est en la regardant qu’ils découvrent leur ectoplasme, cette image publique qu’ils sont devenus. Les satiristes des chaînes de télévision portraiturent cruellement Linda Tripp ; elle en souffre mais ne s’épargne aucun sketch télévisé. Il lui faut, à elle-aussi, sa part de souffrance. Le pire cependant survient chaque fois qu’elle sort dans le monde, là où sa caricature s’est substituée à son anonymat et où le premier venu peut la reconnaître, en rire ou parfois l’insulter.
Un méchant prend parfois conscience de son image et désire en changer en espérant devenir meilleur. La chirurgie esthétique permet ce genre de miracle. Linda Tripp transforme son visage qui ressemble alors beaucoup plus à celui de l’actrice Sarah Paulson. Elle y gagne beaucoup. Tout comme Paula Jones transforme son nez avant de poser pour Penthouse, mais elle, c’est pour l’argent.

De cette histoire de traquenard politique, on retiendra la détermination obsessionnelle de la Droite américaine à abattre Clinton. Il n’est pas question pour elle d’attendre les élections, Clinton doit être destitué. Un simple mensonge, des écoutes téléphoniques illégales, le chantage aux témoins, n’importe quoi fera l’affaire. La politique n’est-elle pas continuation de la guerre par d’autres moyens ? Depuis, il y a eu les mensonges internationaux de Bush Jr et surtout la tempête Trump. C’est bien dans cette direction que mènent les intrigues des Kenneth Starr, Susan Carpenter-McMillan, Anne Coulter ou Lucianne Goldberg tout comme les protestations de Phyllis Schlafly, la Mrs America des années 70, menaient droit au Reaganisme, quelques décennies plus tôt. Vu de 2021, on se rend compte avec ces deux séries de la mise en branle d’une implacable mécanique en réaction au bref épisode libertaire de 68-69, dont Bill Clinton était lointainement l’héritier. Ce que l’on a appelé abusivement la « Révolution Conservatrice » puisqu’il s’agissait en réalité d’une contre-révolution. De Clinton lui-même, on ne conservera qu’un portrait ambigu, efficace et intelligent coté pile, faible coté face.

Partir d’un vaudeville politique pour en faire une tragédie moderne était un pari impossible. Il aurait fallu que la folie s’en mêle. Le monde est plein de Linda Tripp, de rancuniers prêts à adopter la première croyance complotiste venue. Elle seule ne suffisait pas, malgré sa fêlure, à faire basculer l’histoire de l’un vers l’autre. Ou alors il fallait prendre le risque excessif d’une tragédie du banal, parce que c’est à cela qu’appartiennent, au fond, tous ces personnages, à la pure banalité.
American Crime Story : Impeachment est une série américaine créée par Ryan Murphy et écrite par Sarah Burgess à partir du livre de Jeffrey Toobin, A Vast Conspiracy: The Real Story of the Sex Scandal That Nearly Brought Down a President. Diffusé aux USA et Canada par FX et en France sur Canal + en 2921,elle est interprétée notamment par : Sarah Paulson, Annaleigh Ashford, Judith Light, Clive Owen, Margo Martindale, Billy Eichner, Cobie Smulders, Edie Falco, Taran Killam, Colin Hanks, Mira Sorvino, Elizabeth Reaser, Beanie Feldstein… L’actrice-réalisatrice française Laure de Clermont-Tonnerre a réalisé deux épisodes.