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Tychée et Némesis

 

staircase

J‘ai déjà assisté à un procès, pour voir. Une bande de pieds-nickelés était accusée d’avoir monté une fausse auto-école avant de fuir avec l’argent des clients. La sévérité du président, la soumission des prévenus et leur politesse obséquieuse, la présence même du public venu là en partie, comme moi, pour voir, tout cela me terrifia.

Par la suite, m’étant attelé à un roman noir, j’écrivis au commissaire de ma ville pour en savoir davantage sur les usages de la police. A ma grande surprise, il m’invita sur le champ à son bureau. Pourquoi ? Tout simplement parce que chaque fois qu’il effectuait une descente dans les quartiers populaires, et qu’il devait perquisitionner un appartement, les occupants exigeaient un mandat, document inconnu dans notre procédure. ‟ Les gens se croient dans des séries télévisées américaines. Pour nous, ajouta-t’il, le choix est simple : ou bien on a le temps d’expliquer, ou bien on n’a pas le temps et on bouscule. En général, on est pressés. ˮ Par mon truchement, il comptait faire œuvre pédagogique et économiser, à terme, quelques horions.

Quelques années plus tard, m’étant trop moqué du maire de mon patelin dans ma feuille d’opposition, l’animal porta plainte pour diffamation et j’écopai d’un rappel à la Loi. Le délégué du procureur me gronda comme le garnement que j’étais. Je me gardais de répondre pour ne pas ajouter l’insolence à l’insolence. Néanmoins j’appris à cette occasion qu’en France, on peut être condamné à ce genre de désagrément par un procureur et non par un juge.

Enfin, m’étant fait escroquer, je portai plainte contre une entreprise. Cela fait maintenant trois ans que je n’ai pas de nouvelles.

Voilà, j’ai tout avoué de mes rapports avec la Loi. Le reste, tout le reste, c’est à dire cet univers complexe où se mêlent le vrai, le faux, le bien, le mal, l’aveu, la société, le mensonge, la punition, la violence, etc… je l’ai exploré par la télévision, en grande partie.

The staircase2

Procès-théâtre ou procès-rituel ?

L’analogie entre le procès et le théâtre est d’une telle évidence qu’il serait presque inutile de la justifier. Sans même parler des nombreuses pièces qui, depuis Les Euménides jusqu’à 12 hommes en colère, prennent le tribunal pour décor, le théâtre s’est si bien moulé dans le dispositif judiciaire et inversement qu’on ne peut douter de leur similitude. Les costumes, les rites, la sacralisation, le public, la catharsis, le jury dans le rôle du choeur, tout se décalque. Et si l’on voulait définir l’un comme l’autre dans le style d’un dictionnaire, on pourrait parler d’un espace et d’un temps consacrés où se donne en public un spectacle dont les acteurs, incarnations de puissances supérieures, s’affrontent par la parole selon un rituel donné1.

Encore que les procédures doivent être différenciées. Selon la tradition de chaque pays, la justice ne s’y rend pas de la même façon et qu’en ce qui nous concerne, notre droit romain se distingue nettement du droit anglo-saxon. Il suffit d’allumer sa télévision pour s’en rendre compte. Ou plutôt, hélas, de ne pas s’en rendre compte tant la justice à l’américaine, par séries interposées, a pénétré le esprits.

S’il y a pourtant une chose qui devrait nous révulser, en tant que français, c’est bien la façon dont la américains rendent la justice. Que la vérité importe moins que l’affrontement d’arguments opposés est effectivement choquant vu de notre côté. Qu’un idéal ne surplombe pas les débats et que les hommes soient livrés à eux mêmes est trop protestant. En dépit des efforts du ministre Perben pour angliciser notre système judiciaire en introduisant, par exemple, le “ plaider coupable ” qui permet à certains puissants d’échapper à la honte du procès, notre système reste accusatoire et non contradictoire. Mais pour autant, rien n’affirme qu’il le restera, tant la pression est vigoureuse de la part de ceux pour qui le contrat doit supplanter la Loi.

TYCHÉE ET NÉMESIS

Soupçons (The Staircase) est une démonstration flagrante des errements de la procédure contradictoire. Dans cette mini-série (5 épisodes) documentaire, les faits sont filmés à mesure qu’ils arrivent, alternant avec des interviews des différents protagonistes. La chronologie est strictement celle de la réalité. Un écrivain reconnu, Michael Peterson, chroniqueur féroce de la vie politique locale, est accusé d’avoir tué sa femme. Le 9 décembre 2001, il se tenait au bord de la piscine. Elle est tombée dans l’escalier. Il ne l’a pas entendue. C’est sa version. La police enquête, le procureur étoffe l’accusation, l’avocat, David Rudolf, contre-enquête. Le suspect est contraint de dévoiler peu à peu sa vie privée, ses omissions lui font une allure de coupable, ses chroniques acides dans le Durham Herald Sun une allure de tête de turc. Il a menti sur ses blessures de guerre, qui n’étaient que les séquelles d’un accident de voiture, son ordinateur contenait des images pornographiques, il a eu des relations homosexuelles en marge de sa vie domestique. Le procureur est son ennemi politique, pas de raison de se gêner pour enfoncer le suspect. Pas moyen de se faire une opinion. On s’imagine dès le début dans la peau d’un juré d’assises. Très rapidement, on croise les doigts pour ne jamais l’être. Hautain, narquois, trop intello, Michael Peterson fait mauvaise impression sur le jury. L’expert criminologue le charge. Coup de grâce, la révélation de la mort d’une amie, en Allemagne, des années plus tôt, elle aussi au bas d’un escalier. Peterson était le dernier à l’avoir vue.

TYCHÉE ET NÉMESIS

La cause est intranchable. La famille de l’écrivain résiste en un premier temps. Le verdict la fait exploser. L’écrivain est reconnu coupable malgré l’absence de preuves. Il est condamné à la prison à vie. Son avocat fait une dépression nerveuse.

Un peu avant, François-Xavier de Lestrade avait réalisé un documentaire en suivant l’enquête d’un avocat américain qui, bénévolement, luttait pour faire réviser le procès d’un adolescent noir condamné pour le meurtre d’une touriste (blanche). Cela s’appelait Murder on a Sunday Morning (Un coupable idéal) et c’était une course contre la montre. L’avocat échouait à quelques heures près. Il finissait par dénicher le vrai coupable. Son client était déjà exécuté. Toute la procédure pourtant était viciée. Un seul juré se serait opposé, le condamné était sauvé. Et il y en avait un qui ne le pensait pas coupable. Sauf qu’étant le seul noir du jury, il avait préféré faire profil bas. On finissait les larmes aux yeux et jurait que plus jamais une monstruosité comme la peine de mort ne reviendrait en France. L’attitude de la famille du condamné, à elle seule, sans qu’aucune mise en scène ou artifice de montage ne l’insinue, exposait la soumission des noirs américains pauvres à l’autorité des blancs.

TYCHÉE ET NÉMESIS

Huit ans après sa condamnation, Michael Peterson sera libéré. L’expert du FBI local, qui avait lourdement chargé Peterson, s’est fait prendre pour mensonges et faux diplômes dans une autre affaire. Il y eut aussi un temps la “ théorie de la chouette ” qui avançait l’idée que la femme de Peterson se soit fait attaquer dans son escalier par une chouette qui nichait juste au-dessus. La présence d’une plume dans ses cheveux n’avait pas intéressé la police.

Tout le récit se construit autour d’une scène primordiale, l’accident/meurtre. Un tabou a été transgressé quelque part par quelqu’un, chacun est concerné. Il faut suturer. A partir de ce moment, toutes les versions s’affrontent et le spectateur est renvoyé à sa propre conscience.

Qu’est-ce qui fait qu’un document acquiert une puissance aussi grande sinon plus qu’une fiction ? Qu’est-ce qui fait que Soupçon est plus haletant que, par exemple, la reconstitution de l`affaire Strauss-Kahn dans Law and Order ? Ne serait-ce parce que le fait divers est en soi à une forme de discours réaliste et familière. Le fait-divers journalistique a une origine littéraire. Kessel, Mac Orlan, Simenon s’y sont illustrés. Orson Welles, dans son Affaire Dominicci. nous captivait en décortiquant cette affaire qui secoua la France des années 50. Qui n’est pas resté des heures devant une quelconque chaîne de télévision à regarder les Enquêtes criminelles, Faites entrer l’accusé ou autres magazines de faits-divers2 ? Le discours du fait-divers porte la marque de la Tragédie. Le fait-divers est toujours exemplaire, il tire toujours vers l’universel comme si, incapables de dépasser le “ œil pour œil, dent pour dent ”, il nous fallait ré-affirmer sans cesse la nature de la Justice.

Soupçons nous fait bondir parce que la Justice y est, selon nos normes, bafouée et que ce qui arrive à Michael Peterson atteint chacun d’entre nous.

Au moins, grâce à François-Xavier de Lestrade, par le documentaire, la télévision française réussit-elle ce qu’elle s’acharne à rater autrement.  Car hélas, bien trop souvent, le sur-moi littéraire des séries françaises rend les armes devant la puissance du réel.

 

The Staircase (Soupçons) est une série réalisée par Jean-Xavier de Lestrade, diffusée en 2004.

 

Notes

1On peut se référer à ce sujet à l’excellent texte de Gérard Soulier, Le théâtre et le procès, paru dans Droit et société en 1991.

2Magazines qui, comme le dénonce l’Observatoire des prisons, se moquent volontiers du droit à l’oubli et du droit à l’image des détenus tout comme du respect de la chose jugée.

3 réflexions sur “The Staircase

  1. Pingback: American Crime Story & American Crime | les carnets de la télévision

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