J’aurais aimé dire du bien d’une production Netflix, comme m’y encourageait indirectement The Killing Times Tv. L’un de ses derniers articles intitulé « Pourquoi regardons-nous autant d’affaires criminelles réelles à la télévision ? » était illustré par une image de The Sons of Sam. A Descent into Darkness (1) une des dernières productions de la toute puissante Major, consacrée à un tueur en série new-yorkais qui terrorisa New York dans les années 1976-77. The Killing Times Tv suggérait qu’un engouement était né autour des séries traitant d’affaires criminelles réelles – ce que l’on appelle en anglais le true crime – que cet intérêt aurait suscité une production accrue et qu’ainsi se profilerait un genre télévisuel nouveau, mi-documentaire, mi-fictionnel. Le blog britannique citait des documentaires comme Making a Murderer ou l’excellent The Staircase mais aussi une récente « docu-fiction », The Serpent. La sphère aurait pu s’agrandir jusqu’à L’Assassinat de Gianni Versace ou à Aquarius, certes plus fictionnel que documentaire.

L’inscription de ces feuilletons dans une réalité largement connue et documentée contraint leurs auteurs à une parfaite exactitude factuelle. Il n’y a pas besoin de faire croire à un criminel puisque celui-ci existe bel et bien et vit le plus souvent encore en prison comme dans la mémoire du public. L’indubitable vraisemblance du meurtrier est la pierre de fondation sur laquelle la série va pouvoir bâtir son récit en veillant à en conserver l’équilibre entre notoire et le plausible. Car entre ce que le spectateur sait déjà et ce que l’on peut se permettre d’inventer, il reste parfois très peu d’espace.

Crédité de six morts et sept blessés dans le Bronx, Brooklyn et surtout le Queens, en un an et demi environ, David Berkowitz, le Fils de Sam comme il se faisait appeler, tirait essentiellement au revolver calibre .44 sur des couples d’amoureux dans leur voiture. Joshua Zeman, l’auteur de la série, a cependant moins cherché à approfondir cette série de crimes qui terrorisa New York qu’à suivre une figure marginale à l’enquête, celle de Maury Terry, un journaliste indépendant qui, bien avant l’arrestation du coupable, refusa d’admettre la thèse d’un tueur solitaire et poursuivit ses propres recherches jusqu’à s’y embourber.

Joshua Zeman connut réellement Maury Terry à l’occasion du tournage d’un documentaire qu’il réalisait en 2009 au sujet d’enfants disparus à Staten Island, disparitions autour desquelles flottaient des rumeurs de satanisme et de liens avec le Fils de Sam. Les deux hommes se lièrent d’amitié et se fréquentèrent suffisamment pour que, cinq ans après la mort de Terry, Zeman puisse aujourd’hui retracer son cheminement psychologique.
Tout commença en effet pour Terry lorsque la police arrêta David Berkowitz chez lui, dans le quartier de Yonkers. Le meurtrier ne résista pas et déclara qu’il tuait sur ordre d’un démon vieux de 6000 ans qui lui parlait au travers d’un chien. Cela n’empêcha pas les psys de le déclarer apte à répondre devant un tribunal. Maury Terry, lui, refusa d’admettre qu’il n’y ait eu qu’un seul tueur, ne serait-ce que du fait des différences flagrantes entre les portraits robots que la police avait obtenus au fil de la traque.

Tenant un suspect et nantie de ses aveux, la police ne chercha pas à en savoir davantage sur une lettre manuscrite trouvée quatre mois plus tôt après des corps de deux de ses victimes. Dans ce texte écrit en lettres capitales, le meurtrier se présentait ainsi :
Je suis profondément blessé du fait que vous parliez de moi comme quelqu’un qui hait les femmes. Je ne le suis pas. Mais je suis un monstre. Je suis le «fils de Sam». Je suis un petit « morveux ». Quand le père Sam se saoule, il devient méchant. Il bat sa famille. Parfois, il m’attache à l’arrière de la maison. D’autres fois, il m’enferme dans le garage. Sam adore boire du sang. «Sortez et tuez», ordonne le père Sam. Derrière notre maison, un peu de repos. Surtout jeunes – violés et massacrés – leur sang vidé – juste des os maintenant. Papa Sam me garde aussi enfermé dans le grenier. Je ne peux pas sortir mais je regarde par la fenêtre du grenier et observe le monde passer. Je me sens comme un outsider. Je suis sur une longueur d’onde différente de celle de tout le monde – programmé pour tuer. Cependant, pour m’arrêter, vous devez me tuer. (2)
Un texte qui ouvrait de larges horizons à un psychiatre comme à un écrivain… Plus pragmatiquement, Maury Terry fut le seul à effectuer les vérifications minimales sur le Sam auquel il était fait référence, le Père Sam. Il se rendit vite compte que le voisin de David Berkowitz s’appelait Sam Carr, qu’il avait deux fils et un chien berger allemand.
Plus tard, sa découverte dans le parc Untermyer de Yonkers d’inscriptions sataniques et de cadavres de chiens bergers allemands dans le soubassement d’un édifice amenèrent Terry à imaginer qu’un culte satanique s’y tenait auquel participait le tueur en série. Thèse d’autant plus défendable que David Berkowitz déclara au cours de ses interrogatoires qu’il était bien membre d’une secte satanique, qu’il n’était effectivement pas seul lors des meurtres et qu’il n’était pas l’unique tireur. D’autres membres de la secte étaient impliqués à commencer par les deux fils de Sam Carr, John et Michael. Malheureusement, le premier décéda d’un « suicide » à Minot, dans le Dakota du Nord en 1978 et le second d’un accident de voiture n’impliquant que lui, dans Manhattan, à New York en 1979 (3).

Maury Terry publia en 1988 un livre, The Ultimate Evil, qui lui valut de nombreux passages à la télévision et fit réouvrir l’enquête. Le journaliste aurait pu en rester là, mais un peu de la même façon que Michelle McNamara avec l’affaire du Golden State Killer ou Robert Graysmith avec l’affaire du Zodiac Killer, Maury Terry se laissa absorber par sa quête au point de ne plus appréhender le monde que par le prisme de l’affaire du Fils de Sam.
Hélas, la seconde enquête ne donna rien. Les nouvelles pistes que Terry ne cessait de fournir et qui élargissaient peu à peu les meurtres à un complot d’échelon national, discréditèrent peu à peu l’ensemble de son travail. Il y perdit son mariage et sa santé en même temps que sa crédibilité.
Il prétendit bientôt que Berkowitz et les frères Carr appartenaient à une secte appelée « The Children » filiale d’une mystérieuse « Eglise Processus du Jugement Final » dirigée par deux dissidents de la Scientologie, Robert Moore, alias Robert de Grimston, et sa femme Mary Ann Maclean. Selon Maury Terry, cette « église » aurait probablement orchestré les meurtres commis par les Fils de Sam, mais aussi par l’inévitable Charles Manson ou par le très discret tueur du Zodiac.

Ce sera Berkowitz lui-même qui, subtilement, ruinera la carrière de Terry. Lors de l’interview filmée que ce dernier finit enfin par décrocher, on voit le tueur en série répondre de la façon la plus docile à ses questions, soucieux de satisfaire son interlocuteur. À la grande consternation de toutes les personnes impliquées, notamment de la journaliste Mary Murphy, rien ne sort de sa bouche qui ne soit conforme aux attentes de Terry. La rencontre qui devait conforter les thèses de Terry est un échec par excès ostensible de complaisance. Terry perd sa seule carte, celle des aveux, puisqu’il ne dispose pas de preuves matérielles. On ne saura jamais rien de plus.
Les Fils de Sam ne nous apprend donc pas grand-chose sur le monstre, ni sur sa psychologie, ni sur ses motivations, ni sur ses complices potentiels. Si on fait la comparaison avec Zodiac de David Fincher, on en vient à se demander si dans cette série, il n’y a pas un personnage de trop ou plutôt, un corps de trop. Zodiac racontait une affaire de tueur en série du même point de vue d’un enquêteur marginal puisqu’il s’agissait d’un dessinateur de presse. Dans le film, le criminel restait hors-champ, inaccessible, menace obscure sans corps ni visage. Ici, à force de voir et de revoir Berkowitz, avec son éternel demi-sourire aux lèvres, il finit par nous paraître tout autant banal qu’impénétrable. Son corps lourd, sa voix doucereuse, son regard rond sous des sourcils arrondis, sa peau trop blanche font obstacle. Le fils de Sam porte un masque plutôt qu’un visage. L’impasse dans laquelle s’enfonce le journaliste qui voudrait le percer à jour devient progressivement inévitable.

Les deux protagonistes sont présents au travers d’images d’archives souvent répétées d’un épisode sur l’autre, ce qui laisse douter de la nécessité d’étirer le récit en une série de quatre malheureux épisodes au détriment d’un simple film, plus ramassé. Maury Terry fait office de narrateur au travers d’une voix off (Paul Giamatti). La totalité des autres personnages sont des policiers, des journalistes, des membres de la famille ou des amis de Maury Terry, ainsi que l’une des victimes survivantes de Berkowitz, tous très classiquement interviewés, c’est-à-dire que leurs propos sont égrénés selon la chronologie du récit.
Toutes les pièces de la mécanique sont là. Que manque-t-il donc pour nous faire définitivement adhérer à cette histoire ?

Il y a une différence fondamentale entre ce que la fiction interprète et ce que le documentaire explique. Le documentaire ne possède pas les armes de la fiction, il ne bénéficie pas de la dramatisation que le jeu d’acteur apporte. On ne pénètre ni les méandres psychologiques du tueur ni les ressorts intimes du journaliste. The Staircase jouait formidablement de cette limite en nous plaçant dans la position du juré de Cour d’Assises face à un accusé aussi convainquant un jour que détestable le lendemain. Ici, on pourrait seulement conclure que tous les deux, l’assassin et le justicier, finissent en prison, l’un dans une prison de béton et d’acier l’autre dans celle de son obsession. Il aurait fallu une écriture plus kafkaïenne pour nous entraîner dans leur labyrinthe mental. C’est peut-être ce manque de lien émotionnel que voudrait compenser la musicalisation continue de l’arrière-plan sonore en entretenant artificiellement un pseudo climat de suspens et d’inquiétude. Initiative malheureuse qui, au mieux, suscite la fatigue par saturation auditive, au pire l’irritation du spectateur.
Notes : 1- Titre français : Les Fils de Sam : L’horreur sans fin. 2 – I am deeply hurt by your calling me a wemon (sic) hater. I am not. But I am a monster. I am the « Son of Sam. » I am a little « brat ». When father Sam gets drunk he gets mean. He beats his family. Sometimes he ties me up to the back of the house. Other times he locks me in the garage. Sam loves to drink blood. « Go out and kill » commands father Sam. Behind our house some rest. Mostly young—raped and slaughtered—their blood drained—just bones now. Papa Sam keeps me locked in the attic, too. I can’t get out but I look out the attic window and watch the world go by. I feel like an outsider. I am on a different wave length then everybody else—programmed too kill. However, to stop me you must kill me. 3 – Lire ici (en anglais)