Le siège Waco (1) ne date que de 25 ans, il parait pourtant appartenir à une époque lointaine. Les reportages de la télévision qui en témoignent ressemblent à de vieux documentaires tremblotants aux couleurs fanées. On comprend mal ce qui a pu générer un tel massacre.
Cette tragédie inexplicable, qui fut un traumatisme national aux USA, nous est rappelé en 2018 sous forme d′un mini-feuilleton en 6 épisodes. L′évocation, très réaliste, prend place dans un courant actuel de relecture des 30 dernières années du XXème siècle à la télévision américaine. La période où tout a changé, sous l’impulsion de la révolte de 68. The Deuce, Pose, Aquarius, Glow sont les cousins de Waco. Mais rappeler les fantômes du passé, c’est aussi courir le risque de les entendre nous parler aussi de ce que nous sommes devenus. Diffusé à l′époque d′Obama, Waco nous aurait parlé de l′obscurantisme sectaire et de l′impasse de la violence. À l′époque de Trump, Waco nous parle de la violence de l′État et de l′incommunicabilité sociale.
Le siège de Waco est l′un de ces épisodes tragiques d′une guerre civile qui semble n′avoir jamais cessé aux USA depuis la Guerre de Sécession. On pourrait aussi le voir comme un remake de Fort Alamo, un Anti-Alamo. Même région, le Texas, même conflit entre un groupe retranché dans un fortin et l′État, même fin désastreuse mais d′une portée emblématique considérable. Les vainqueurs hisseront leur drapeau sur les ruines fumantes, le général Santa Anna en 1836, les États-Unis d’Amérique et l’État du Texas en 1993. « Ils ne vivent pas le mythe de l’Alamo, mais l’anti-Alamo, écrivit Jan Jarboe Russell dans Texas Monthly, au sujet des Davidiens. Ce n’est pas par accident que nos drapeaux jettent leur ombre sur les ruines du Ranch de l’Apocalypse, parce que ce que représente le ranch est notre côté fantôme, la partie d’entre nous qui ne peut faire face à l’irrévocabilité de tout ce qui a été perdu. »
Cet affrontement insensé entre les forces fédérales et la secte millénariste fit en effet 82 morts dont 21 enfants. La version des autorités fait évidemment porter tous les torts sur la secte et son gourou David Koresh accusé de polygamie, d′abus de mineurs et de détention d′armes trafiquées. Il est également reproché à la secte d′avoir ouvert le feu sur les agents de l′ATF venus perquisitionner puis sur les forces du FBI avant de provoquer elle-même l′incendie des bâtiments dans une forme de suicide collectif.
Depuis 1993, on en était restés à cette interprétation, largement relayée par les médias. Les huit épisodes de Waco en prennent le contrepied. Ils s′appuient sur deux témoignages dissidents publiés l′un par David Thibodeau, un survivant de la secte, et l′autre par le négociateur en chef du FBI, Gary Noesner, fermement hostile à ce qu′il dénonçait comme une militarisation du FBI (2). La version des évènements y est donc sensiblement différente de celle qui vient d′être relatée et penche en faveur de ceux qui firent leur possible pour éviter le carnage. Il est certain que le massacre aurait pu être évité. Bill Clinton lui-même regretta d′avoir autorisé l′opération du FBI. Des voix minoritaires se sont élevées pour contester la version officielle et pour mettre en cause la violence d′État.
De là à plaider en faveur des victimes, c′est à dire de la secte et son gourou, il y a peu de distance et c′est là que le malaise pointe.
Issu de l′Eglise adventiste du 7ème jour, la secte des Davidiens est un groupe millénariste qui, après quelques rivalités, échoit à Vernon Wayne Howell, alias David Koresh, qui s′impose par sa maîtrise du livre de la Révélation, autrement appelé l′Apocalypse. Sous la houlette de Koresh, une branche des Davidiens s′installe dans le Texas, à Waco, en un lieu qu′ils rebaptisent Mont Carmel (3). Les disciples se recrutent dans tous les milieux, y compris les milieux intellectuels, ils viennent de Grande-Bretagne, d’Australie, d’Hawaï, pour vivre ensemble la fin du monde. Obnubilé par l′Apocalypse qu′il décrypte avec plus d′emphase que de cohérence, Koresh se présente comme l′Agneau de Dieu et organise la vie de la communauté selon les messages que Dieu lui fait parvenir.
« L′ouverture du cinquième sceau, comme je vous le dis depuis années, commencera quand les armées de Babylone viendront à notre porte verser notre sang. Nous serons alors mis à l′épreuve dans nos chairs, nos esprits et nos âmes. » Et les armées de Babylone, bien évidemment, ce seront les forces spéciales du FBI. Quelles que soient les circonstances, tout ce qui arrive à la secte a été annoncé par Koresh et réaffirme sa puissance prophétique., à la grande admiration de ses disciples À force, on finit par y croire. La logorrhée eschatologique trouve facilement à s′illustrer, il suffit de savoir l′interpréter.
Pour le reste, la secte vit pacifiquement à l′écart d′une petite ville et ne cause de souci à personne. Un livreur a cru bon de signaler au shériff les armes qu′il avait aperçu dans un colis abîmé. Le shériff a alerté le « Bureau of Alcohol, Tobacco and Firearms » (ATF). L′ATF lance une perquisition brutale qui dérape immédiatement en fusillade. Koresh est atteint et son beau-père mourra peu après de ses blessures. Aucun des deux n′était armé. L′affaire de Waco commence là.
Les motifs de l′ATF sont flous. Le stockage d′armes trafiquées n′est pas prouvé. Pour alourdir le poids des charges, l′ATF ajoute le détournement de mineurs et la polygamie. Ce à quoi le journaliste de la radio locale et porte-parole des auteurs de la série répond : « L′ATF n′a aucune autorité en matière de jeunes filles, de sexe, de polygamie ou de n′importe quel autre sujet dont ils parlent. Ce ne sont pas leurs affaires. Leur domaine est l′alcool, le tabac et les armes à feu. Point final. »
Mais, comme tout gourou, ainsi que le lui rappelle l′agent Gary Noesner, Koresh commence par s′adjuger toutes les femmes de la tribu. Il ne comprend pas que Koresh agit par bonté d′âme en déchargeant les autres hommes d′une corvée sexuelle qui les détourneraient de la foi, tandis que lui compte engendrer les 24 « Anciens » qui jugeront l′humanité à la fin de temps. Entre adultes consentants, rien à dire. Quand au petit problème de détournement de mineur, il a été réglé par un mariage improvisé, avec accord des parents. La loi texane est ainsi respectée. Pas de quoi ameuter les fédéraux.
Alors à quelle nécessité répond une opération militaire d′une telle envergure ? L′ATF a-t-il besoin d′un succès pour récupérer des financements ? Le FBI cherche-t-il a prouver ses besoins opérationnels alors qu′un million de dollars supplémentaires vient d′être attribué à ses forces spéciales ? C′est la thèse explicitement soutenue par Waco. Ces deux agences fédérales auraient manipulé le gouvernement pour gagner en puissance, en financements, en pouvoir. Le spectre du « Deep State » cher aux complotistes pointe son vilain nez.
Entre la secte et les forces de l′ordre, le courant est totalement alternatif. Tout la durée du siège, et avant d′être mis sur la touche, le négociateur Gary Noesner cherche à établir une base de discussion. Il a dans le dos les Rambos du FBI qui ne rêvent que d′en découdre et à l’autre bout du téléphone un groupe qui vit l′Apocalypse de la Bible en direct. Trouver les bons mots, ceux que tous pourront comprendre, est une mission quasi-prométhéenne.
Une discussion entre le bras droit de Koresh et Noesner résume l’obstacle : « Comme vous, les gars, vous respectez une autorité supérieure, nous le faisons aussi / Bon, et maintenant ?/ On attend un signe du Seigneur pour qu’il nous dise de sortir ». Les Davidiens obéissent à Dieu, le FBI au gouvernement. Ils parlent peut-être tous américain mais leurs langues n’ont plus rien de commun.
Manipulateur, égocentrique, autoritaire, le personnage de Koresh est ouvertement antipathique. Les auteurs le livrent tel quel, sans chercher à le valoriser. Mais le ramener sur le devant de la scène aujourd′hui, dans le cadre d′un affrontement entre l′État et une communauté, n′est pas sans conséquence.
Les Inrockuptibles écrivent très justement : « […] les disciples de Waco sont devenus les martyrs d’une cause récupérée par un certain pan de l’extrême droite américaine, « extrêmement libertarien, anti-gouvernemental, très marqué par un discours chrétien à tendance apocalyptique », affirme Benjamin Ducol [docteur en sciences politiques et spécialiste de la radicalisation]. Pour ce versant politique, le siège de Waco illustre la tyrannie de l’Etat et son irruption dans la vie d’autrui. Une vision reprise par des mouvements virulents, qui considèrent que le gouvernement n’a pas sa place dans la vie des Américains, et que vivre entouré d’armes à feu est une nécessité. » (4)
En prélude, Waco n’hésite d’ailleurs pas à évoquer un fait-divers survenu dans l′Idaho au cours duquel les mêmes agents du FBI sont aux prises avec des suprémacistes blancs barricadés au fin fond d′une forêt. Là encore, des gens meurent parce qu′ils vivaient à leur façon, sans doute marginale, dans une société de plus en plus intrusive. Donc totalitaire, selon la terminologie libertarienne.
Quand au « discours chrétien apocalyptique », il a déjà son rond de serviette à la Maison Blanche. L′écart est-il si grand entre David Koresh et les évangélistes sionistes américains qui soutiennent Trump ? La récente reconnaissance de Jérusalem comme capitale d′Israël est leur victoire, nourrie par l′espoir délirant d′accélérer le retour du Christ. Donc l’Apocalypse…
Vers la fin, le journaliste de radio/porte-parole des auteurs, cite plusieurs affrontements au travers du pays au cours desquels les forces de l′ordre ont utilisé des gaz lacrymogènes et qui se sont achevés en brasiers, avec quantité de morts. Il conclut : « Nous sommes tous américains. Quand avons-nous commencé à nous voir comme des ennemis ? » Toute la question est là.
Malheureusement, avant de la poser, Waco a choisi d’offrir un cas d’école à l’idéologie fascisante qui contamine actuellement le monde occidental. On veut bien croire que l’intention était plus pacifique. Les deux personnages sur lesquels s’achèvent le feuilleton sont Thibodeau et Noesner, les seuls non-violents de l’histoire. Ceux qui donnent priorité au débat, à l’échange, à la compréhension de l’autre. Hélas, il est à craindre que ces ultimes images ne parviennent à compenser le long exposé de la violence d’État, certes réelle, à l’encontre de la liberté d’expression, de la liberté de conscience et du droit porter des armes. Car telles sont, dans la bizarrerie de nos jours, les valeurs affichées par l’Extrême-Droite.
Waco est un feuilleton écrit par John Erick Dowdle et Drew Dowdle et diffusé sur Paramount Network en 2018. Il est interprété notamment par : Taylor Kitsch, Michael Shannon, Rory Culkin, Julia Garner, Shea Whigham, John Leguizamo,…
Notes :
1 – 28 février au 19 avril 1993
2- « Stalling for time : my life as a FBI hostage negociator », par Gary Noesner et « Waco : a Survivor’s Story », par David Thibodeau et Leon Whiteson.
3 – Dans la Bible, le Mont Carmel est le lieu donnant accès vers Yavhé. Le prophète Elie y affronte les prêtres de Baal en les mettant au défi de faire descendre du feu du ciel. Aidé par Yavhé, il l′emporte puis massacre les prêtres de Baal. Ce mont est aussi appelé l ′école des prophètes parce qu′Elie y aurait réuni ses disciples, dont le plus célèbre, Elisée.
4 – Article de Marie Ingouf, publié dans les Inrockuptibles du 6 mai 2018.