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De la société du spectacle

 

DE LA SOCIETE DU SPECTACLE

« Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. » Ainsi Guy Debord, parodiant Marx, introduisait-il son ouvrage le plus célèbre : La société du spectacle.

Black Mirror est une mini-mini-anthologie de trois épisodes par saison diffusée à partir de 2011 au Royaume-Uni et au Canada. Chaque épisode est donc autonome, sans lien avec le précédent si ce n’est une proximité thématique : la transformation future de la société et des individus soumis au développement des technologies de communication. C’est donc de la télévision et de ses pseudopodes (internet notamment) dont Black Mirror parle.

Le premier épisode raconte le chantage auquel est livré un premier ministre britannique et le rôle prépondérant de YouTube, des sondages de popularité en continu, de Twitter et de Facebook. Le second épisode est une sorte de 1984 à l’ère de la télé-réalité. Le dernier épisode de la première saison, certainement le plus réussi, imagine que chacun d’entre nous porte sur lui une mémoire électronique qui enregistre tout ce qu’il voit et entend. On peut ainsi rediffuser ses souvenirs ou les effacer, pour soi ou collectivement. La seconde saison poursuit sur un mode individuel puisqu’il s’agit d’une femme qui perd son mari et le retrouve sur le “ nuage informatique ” puis sous forme d’androïde connecté au même “ nuage ”, préfiguration dramatique de la saison à venir de Akta Människor. Le second épisode traite d’une justice transformée en spectacle sordide. Le dernier de l’intrusion d’un personnage de dessin animé télévisé dans une campagne politique.

DE LA SOCIETE DU SPECTACLE

Lorsque la télévision traite de la télévision , lorsqu’elle la caricature et en pointe les possibles excès, lorsqu’elle dénonce la démocratie hystérisée qui en est le fruit, on peut craindre d’assister à un exercice de post-télévision, c’est à dire de télévision qui spéculerait sur elle-même. En effet, Black Mirror n’est pas un simple spectacle, on n’y croit pas comme on croirait aux aventure d’un Jack Bauer ou d’une Ally Walker. On regarde Black Mirror avec cette distance critique qui est le propre de la post-modernité. On goûte intellectuellement ses scénarios à tiroirs, on adhère parfois, mais seulement parfois, aux personnages. On n’a pas peur, on n’est pas ému, on ne frissonne pas, on n’est pas tétanisé par la peur de rater la suite, on ne rit pas, on ne jubile pas, on n’aime pas. En un mot, on ne se reconnaît pas. On jouit intellectuellement, on ironise au sens post-moderne du terme.

DE LA SOCIETE DU SPECTACLE

Depuis les années cinquante, beaucoup de charges ont été lancées contre la télévision, souvent issues des milieux du cinéma. Un homme dans la foule, The Truman Show, Ed’s TV ou The King of Comedy, pour ne citer que les réussites les plus célèbres, ont donné le ton. Lorsqu’une série télévisée traite avec férocité de la télévision, la critique n’est pas du même ordre. L’autocritique n’est pas la critique. Bien sûr, la cible est atteinte avec une remarquable précision, les auteurs ont assez d’expérience de la télévision pour savoir la parodier à la perfection. Dans le deuxième épisode, le jury de la compétition Hot Spot, calquée sur Idol (1), est particulièrement réussi. La grossièreté des jeux d’inspiration japonaise, la mièvrerie des émissions de variété, la pornographie à portée de télécommande, tout est rudement mais efficacement brossé. De même, dans les autres épisodes, l’insupportable exigence de transparence, la soumission du pouvoir politique aux humeurs d’une population devenue public, le conflit de nature entre des réseaux sociaux instantanés et la sphère politique, tout cela sonne juste et paraît difficilement contestable.

Alors qu’est-ce qui ne va pas ?

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Ce qui ne va pas, c’est le peuple. La représentation du peuple. Le peuple vu par Black Mirror, c’est le public de télévision présenté comme une foule carnassière et frénétique qui sur-réagit au moindre stimulus et n’a pour désir que de mettre en pièces les victimes que l’écran lui offre. Une foule de voyeurs qui, téléphones portable en mains, ne veulent pas perdre une miette de l’horreur. Une foule plus attirée par la grossièreté d’une marionnette ou d’un spectacle que par les discours des politiciens. À aucun moment la télévision n’est décrite comme ce qu’elle est aussi et avant tout : l’agora et l’amphithéâtre modernes. Cette réduction de la télévision à de terrifiantes arènes est l’un des poncifs les plus éculés de la critique de la télévision.

Deux épisodes seulement échappent à cette critique, parce qu’ils se limitent à la sphère intime. Tous les deux se retrouvent sur un point : il n’y a pas de vie possible sans oubli. Or la mémoire, clef de voûte de l’informatique, rend potentiellement tout présent. Plus de pardon possible ni de deuil.

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La fantastique capacité de récupération de la télévision, qui absorbe toute contestation à son égard et la fait sienne, est dénoncée dans le deuxième épisode de la première saison, cet Idol version 1984. Le coup d’éclat du héros qui menace de s’immoler en direct pour dénoncer l’imposture et la violence de la télévision devient aussitôt un formidable spectacle télévisé. On lui propose sur le champ deux demi-heures par semaine sur une chaîne du réseau. Mais est-ce la télévision qui détourne à son propre profit sa critique ? N’est-ce pas plutôt le processus plus général de la société capitaliste moderne ? Qui est réellement en cause, la télévision ou la société du spectacle ? Mais le boomerang revient à l’envoyeur, Black Mirror formidable dénonciation de la télévision, des moyens de communication modernes et de la société du spectacle en général en est finalement lui-même l’un des rouages les plus aboutis.

 

Black Mirror est une mini-série de 3 épisodes par saison, crée par Charlie Brooker et qui fut diffusée la première fois en 2011 sur Channel 4. Elle est interprétée notamment par Rory Kinnear, Daniel Kaluuya, Jessica Brown Findlay, Toby Kebbell, Jodie Whittaker, Hayley Atwell, Domhnall Gleeson, Lenora Crichlow, Michael Smiley, Daniel Rigby, Tobias Menzies Chloe Pirrie, Jason Flemyng…

6 réflexions sur “Black Mirror

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